L’économie informelle occupe une place centrale dans l’économie de nombreux pays africains, dont le Burundi, où elle représente une source essentielle de revenus pour une grande partie de la population. Selon une étude récente menée par notre collègue Siméon Barumwete, l’économie informelle ne devrait pas être perçue comme un frein, mais plutôt comme un levier pour la prospérité.
Qui mieux que le poisson peut décrire les profondeurs du lac, sa température, son écosystème et ses évolutions ? Dans cette métaphore, le poisson représente le travailleur informel (le commerçant ambulant, la vendeuse de friperie, l’artisan, le couturier, le mécanicien, le maçon, le chauffeur de taxi, le meunier, etc…). Le lac, quant à lui, symbolise l’écosystème de l’informalité, un univers où les flux économiques échappent souvent à la législation en vigueur.
Appris sur le tas, ce travail informel est une véritable bouée de sauvetage pour la majorité des Burundais. L’étude révèle que 76 % des répondants travaillent dans le secteur informel, contre seulement 24 % qui ont accès à un emploi formel. Pour cette majorité, l’informalité est le seul moyen de gagner sa vie, en gérant de l’argent liquide qui transite de main en main, hors de toute fiscalité. Cette prédominance de l’informalité s’explique principalement par le manque d’emplois formels (64 %), l’absence de réglementation dans l’informel (36 %) et la flexibilité en termes d’horaires de travail (12 %).
Un secteur précaire mais vital
Cette flexibilité a un coût au regard de la précarité des conditions de travail. Les travailleurs interrogés affirment travailler en moyenne entre 12 et 14 heures par jour, bien au-delà des standards du secteur formel. Cette pénibilité est d’autant plus marquée qu’aucun d’entre eux ne bénéficie de protection sociale, que ce soit une assurance-maladie ou des congés payés. 84 % des répondants sont à leur propre compte, reflétant une culture forte d’auto-emploi, mais aussi une vulnérabilité économique accrue. Seulement 4 % des travailleurs occupent des postes dans le secteur formel, soulignant les difficultés à formaliser les activités économiques.
Plusieurs obstacles empêchent cette transition de l’informel vers le formel. Le manque de capitaux est identifié comme le principal frein par 84 % des répondants. Les coûts d’enregistrement et les procédures bureaucratiques complexes dissuadent également de nombreux entrepreneurs. Par ailleurs, 88 % des répondants estiment que les politiques gouvernementales de promotion de l’emploi formel sont inefficaces, ce qui met en lumière un besoin urgent de réformes.
Un potentiel prometteur
Malgré ces défis, le secteur informel joue un rôle crucial dans l’économie burundaise. 80 % des répondants estiment qu’il contribue significativement à la création d’emplois, à la flexibilité économique, au soutien des ménages et à la circulation de l’argent au sein des communautés. Il favorise également l’innovation entrepreneuriale et contribue aux recettes indirectes de l’État.
Les travailleurs informels ont conscience qu’au plan financier, leurs revenus dépassent souvent la moyenne nationale, que ce soit par rapport au secteur public ou au secteur privé formel. 64 % des répondants se déclarent satisfaits de leurs revenus, avec des marges bénéficiaires allant de 20 à 30 % de leurs recettes journalières. En valeur absolue, leurs revenus nets se situent entre 15 000 et 20 000 BIF par jour, soit bien au-dessus du seuil de pauvreté (1,90 USD/jour) et largement supérieur au salaire minimum burundais, qui est de 160 BIF/jour en milieu urbain et 105 BIF/jour en milieu rural.
Cependant, malgré cette relative aisance financière, les travailleurs informels ne souhaitent pas perpétuer ces activités. Ils considèrent que leur travail manque de respectabilité sociale. Les risques liés à la sécurité sociale et la pénibilité du travail les poussent à souhaiter un avenir meilleur pour leurs enfants : Un travail moins pénible et plus respecté même s’il est moins rémunérateur, qu’un travail rémunérateur mais pénible et méprisé.
Relation entre l’informalité et l’État
Les réflexions des travailleurs informels révèlent une cohabitation méfiante plutôt qu’un conflit ouvert et permanent avec l’État. Le lac qu’est l’informalité souhaite cohabiter sans s’intégrer aux codes de la mer qu’est l’Etat-Société. Cette perception se traduit par un faible enthousiasme pour la formalisation et les procédures administratives, une méfiance (ou une ignorance) envers les mécanismes de protection sociale, et une crainte du poids des impôts et taxes.
Que faire pour transformer l’informalité en opportunité ?
Pour faciliter la transition de l’informel au formel, il faut un accès facile au financement, une simplification des procédures administratives, une réduction des coûts d’enregistrement des entreprises et un meilleur accès à la protection sociale. Des programmes de formation adaptés aux besoins des travailleurs informels pourraient également améliorer leurs compétences et leur employabilité.
En mettant en œuvre des politiques adaptées et en soutenant les travailleurs informels, il est fort possible de transformer ce secteur en un moteur de développement durable. Agissons alors maintenant pour créer un avenir où l’économie informelle n’est plus synonyme de précarité, mais de prospérité.