La sécurisation des actifs féminins et l’expansion de leurs opportunités économiques sont essentielles pour la prospérité et la paix. Cependant, certaines mesures comme l’expropriation menacent ces aspects au détriment des droits fonciers des femmes qui pourtant devraient participer dans une approche globale de développement. Notre collègue Janvier Cishahayo le démontre, chiffre et témoignage à l’appui.

« À partir du mois d’août 2023, chaque propriétaire foncier doit proposer son plan de construction, établir et donner un calendrier des travaux. Ceci en vue de préparer la ville pour sa nouvelle image de ces 15 prochaines années. Celui ou celle qui ne donnera pas ce calendrier se verra retiré son droit de propriété, et sera octroyée à ceux ayant les moyens de l’aménager. C’est de cette manière que le pays peut se développer » annonce faite par le Ministre en charge des infrastructures dans une conférence avec les médias.

Cette mesure a fait penser à un plan d’expropriation. Les choses sont telles au moment où la raréfaction des terres disponibles, la volonté de réeménager les zones urbaines, conjuguée à la hausse croissante de la population et des besoins fonciers conséquents, ont fait de l’expropriation pour cause d’utilité publique, un fait de plus en plus courant et récurrent au Burundi.

Quid de la loi ?

« On ne se réveille pas du jour au lendemain pour sommer les occupants à quitter leurs parcelles » a expliqué Gaspard Kobako, ancien ministre des Travaux Publics et de l’ Équipement. Mais, que dit la loi ? La Constitution de la République du Burundi prévoit en son article 36 les expropriations dont les protagonistes sont l’Etat du Burundi et les particuliers. Elle stipule que « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique dans les cas et de la manière prévus par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité ou en exécution d’une décision judiciaire coulée en force de chose jugée ». 

Le Code foncier en vigueur au Burundi (article 412) la complète : « Hormis les cas où l’expropriation a pour but de constituer une zone protégée, seul le terrain nécessaire aux infrastructures d’utilité publique et leurs dépendances peut faire l’objet d’expropriation ». 

Des études faites en 2009 ont montré que le volume des dossiers fonciers devant les cours et les tribunaux représentaient 71,9 % des affaires civiles, et moins de 15 % des terres enregistrées au nom de personnes physiques le sont au nom d’une femme, individuellement ou solidairement.

Statistiques

Une enquête menée entre septembre et décembre 2013 auprès de 2 257 ménages, par la « Revue du secteur foncier au Burundi » a réparti en proportion les conflits fonciers par type. Les expropriations représentent 3,8 % de tous les conflits fonciers en ménages des zones urbaines.

MR : Ménages ruraux, MU : Ménages Urbains, MM : Ménages Marais, MP : Ménages Paysannats, ME : Ménages Environnement

Types de conflits MR MU MM MP ME Moyenne
Partage lors d’une succession 43,7 % 35,9 % 42,0 % 5,9 % 16,7 % 34,3 %
Problème de limite 18 % 23,1 % 18,5 % 7,1 % 15,3 % 16,9 %
Opposition à une vente 5,1 % 3,8 % 2,5 % 10,6 % 5,6 % 5,4 %
Remise en cause d’une vente 9,3 % 9,0 % 6,2 % 21,2 % 2,8 % 9,7 %
Remise en cause d’une attribution 2,3 % 2,6 % 1,2 % 8,2 % 5,6 % 3,3 %
Expropriation 4,8 % 5,1 % 6,2 % 3,5 % 25,0 % 7,2 %
Récupération d’une terre d’origine domaniale 1,3 % 0,0 % 1,2 % 22,4 % 9,7 % 4,9 %
Remise en cause d’un droit 8,4 % 16,7 % 14,8% 2,4 % 11,1 % 9,7 %
Remise en cause d’un droit secondaire 0,6 % 0,0 % 0,0 % 0,0 % 0,0 % 0,3 %
Remise en cause d’un droit issue de l’abolition du servage 0,0 % 0,0 % 0,0 % 0,0 % 0, % 0,0 %
Autres 6,4 % 3,8 % 7,4 % 18,8 % 8,3 % 8,1 %

Source : La gouvernance foncière au Burundi, 2017

Inquiétude

Acheté dans des économies engrangées avec son mari lorsqu’ils étaient encore actifs, Jacqueline Nduwuburundi s’inquiète de perdre sa propriété foncière une fois cette mesure instaurée. « Je suis retraité et veuve de 3 enfants. Je ne vois pas comment je vais me conformer à la règle avec mes faibles moyens », confie-t-elle avec un brin d’amertume.

Et pour Noëlie Kubwayo et Joshua Ndiho, deux natifs orphelins de la zone Rohero, ils s’inquiètent que la seule propriété laissée par leurs parents dans cette zone pourrait leur être enlevé en défaut de moyens de construire dans les normes exigées.

La nouvelle politique de réaménagement de la ville de Bujumbura et d’autres centres urbains est salutaire. Toutefois, il faudrait bien le cadré et bien l’orienter dans son exécution en posant les jalons sur les mesures accompagnatrices comme les indemnités pour ceux qui se verront enlever leur droit de propriété ou de nouvelles propriétés qui leurs seront octroyées, et penser aux propriétaires fonciers qui ne possèdent pas les fonds conséquents de se ranger à la norme, ne puissent pas être expropriés, mais par contre aient des facilités pour contracter des crédits immobiliers, et ainsi se conformer à la vision en vigueur tout en préservant les conflits fonciers qui pourrait surgir et handicaper surtout la burundaise.