Les conflits familiaux liés à l’accès à l’héritage foncier continuent de déchirer les familles et la communauté burundaise, entraînant la violation des droits les plus élémentaires des femmes. Partant du cas de Sophie Inamahoro et de ces neuf sœurs qui ont subi les maux orchestrés par son frère sur l’héritage foncier le jour de la célébration des droits de la femme, est une indignation qui pousse notre collègue Bénit Bellard Uwimana à nous sous-marine dans le bain de cette lutte interminable qui persiste dans les ménages.
Sophie Inamahoro, 55 ans, est une mère de 3 enfants. Le 8 mars 2024, jour de la célébration des droits de la femme, elle et ses 9 sœurs ont été chassées de la propriété familiale de Kamenge par leur frère. Ces litiges fonciers comme le cas de Sophie, occupent une place prépondérante dans les revendications des droits fonciers des femmes devant les tribunaux. Selon une enquête menée en 2015 dans les provinces du centre et du nord du Burundi, 51 % des litiges fonciers portés devant les tribunaux sont de nature intrafamiliale. Sur un total de 809 litiges fonciers soumis par des femmes, il a été observé que 366 d’entre elles, soit 44,9 %, concernent le droit d’hériter des terres familiales, tandis que les demandes d’usufruit représentent 18 % des réclamations des femmes sur les terres familiales.
Perpétuelle inégalité
Dans la commune Ntahangwa, zone Kamenge, quartier Twinyoni, ce cas de Sophie Inamahoro en témoigne. Cette mère vient d’être expulsée avec ses neuf sœurs de la maison familiale par leur frère. « Après mon rapatriement de l’asile en 2019, j’espérais un jour hériter du domaine familial. Mais à ma surprise totale, je viens d’être refoulé sous prétexte que je n’avais plus aucun droit sur la parcelle familiale. Je me demande comment je vais faire vivre ma famille », témoigne Mme Inamahoro qui a saisi la justice et le dossier N° RCF 1956/2019 a été ouvert au Tribunal de résidence de Kamenge. Le frère a gagné le procès le 27 août 2019. Sophie a intenté un recours au Tribunal de Grande Instance de Bujumbura où le frère a également gagné le procès le 23 février 2021.
L’affaire a enfin été portée à la Cour suprême en cassation. Dans l’arrêt RCC 31 811, comme le rapporte le Journal Yaga , « cette dernière casse la décision du Tribunal de Grande Instance de Ntahangwa, le 21 juillet 2022, et renvoie l’affaire devant la même juridiction pour être rejugée par un siège autrement constitué. Le 26 février 2024, le frère a été condamné par la Cour d’appel de Ntahangwa à une peine d’amende de 100 000 Fbu et au versement de dommages et intérêts d’un million pour les chefs d’accusation de rébellion et de destruction des constructions ».
Combat prioritaire
Pour Sylvia TAMALE, professeur en études de droit à l’Université de Makerere en Ouganda, les femmes ont les mêmes droits à l’héritage que les hommes dans la société, et dans la famille. Elle indique que « refuser aux femmes le droit d’hériter constitue une forme de discrimination basée sur le genre, et contredit les principes fondamentaux d’égalité et de justice. L’héritage offre aux femmes une opportunité cruciale d’accéder aux ressources économiques, telles que la terre, les biens immobiliers et les finances. Cela leur permet de devenir économiquement indépendantes et de prendre en charge leur propre subsistance ainsi que celle de leur famille. L’accès des femmes à l’héritage leur confère également un statut social et juridique renforcé au sein de leur famille et de leur communauté. Cela leur donne une voix et un pouvoir dans les prises de décision familiales et communautaires, ce qui est essentiel pour promouvoir leur autonomie et leur bien-être », conclut-elle.
La Tunisie, un cas d’école
La Tunisie a réalisé des progrès significatifs dans la promotion de l’égalité des sexes en matière d’héritage. En 2018, le Parlement tunisien a adopté une loi historique qui garantit aux femmes le droit d’hériter des biens de leurs parents au même titre que les hommes. Cette réforme a marqué un changement majeur dans le système successeur tunisien, contribuant ainsi à réduire les inégalités de genre et à renforcer les droits des femmes dans le pays.
Ainsi, l’histoire déchirante de Sophie Inamahoro et de nombreuses femmes dans le monde révèle les profondes injustices auxquelles sont confrontées les femmes en matière d’héritage au Burundi. D’où la lutte du projet Why women du CDE Grands Lacs pour les femmes. À l’instar de la Tunisie, il est impératif de sensibiliser et d’éduquer la société sur l’importance de l’égalité des sexes dans les questions successorales, et d’adopter des réformes législatives qui garantissent aux femmes les mêmes droits d’ héritage que les hommes, renforçant ainsi leur autonomie économique et leur statut social.