Par Franck Arnaud Ndorukwigira
Le monopole exclusif dont jouissait depuis 1962 la Régie de Production et de Distribution d’eau et d’électricité du Burundi (REGIDESO) vit ses derniers mois. Le Sénat Burundais vient d’adopter un projet de loi ayant pour objectif la libéralisation du secteur électrique. Une mesure qui s’inscrit dans les recommandations de la 5ème édition du sommet économique 2023, qui s’était tenu sous le thème « Secteur privé, pilier de l’émergence économique ». Coup de projecteur.
Le projet de loi portant modification de la loi no 1/13 du 23 avril 2015 portant réorganisation du secteur de l’électricité au Burundi qui vient d’être unanimement adopté par le sénat, ouvre la voie à une libéralisation du marché de l’électricité au Burundi. Le présent projet de loi vise à permettre au secteur privé d’investir dans le réseau de distribution et de commercialisation de l’électricité, et crée un cadre juridique favorable à la libre-concurrence. « Je lance un appel à tous ceux qui souhaitent venir investir dans ce secteur de l’électricité, de le faire, pour que nous ayons une saine compétition » avait lancé le ministre de l’Hydraulique, de l’Énergie et des Mines, Ir. Ibrahim Uwizeye, après l’adoption de ce loi au sénat.
Une libéralisation qui vient à point nommé ?
Lors de la 5ème édition du sommet économique 2023, organisé par le Centre for Development and Enterprises Great Lakes, la ministre du commerce et de l’industrie avait souligné l’importance du secteur privé comme levier incontournable pour l’émergence du Burundi. C’est ainsi que le plaidoyer pour une libéralisation du secteur électrique est apparu dans les recommandations à ce sommet pour atteindre la vision Burundi émergent en 2040 et développé en 2060.
En effet, en dépit des immenses potentialités hydroélectriques du Burundi, les Burundais ont un faible accès à l’électricité. Ainsi, le taux de couverture en électricité est de 10 %, un taux cinq fois inférieur à la moyenne de 44 % de l’Afrique subsaharienne. Et quand bien même les citadins ont accès à l’électricité, ils doivent subir la cherté des tarifs, les longues lignes pour acheter l’électricité et les délestages intempestifs. Cette situation est la conséquence de plus d’un demi-siècle de monopole public marqué par des scandales de détournements de fonds de la Regideso. Face à un tel constat, la libéralisation est incontournable. Selon le ministre de l’Hydraulique, de l’Énergie et des Mines « ce nouveau projet de loi va permettre au pays de rehausser le taux de la couverture électrique jusqu’à plus de 70 %, d’ici 2030, et à 100 % en 2040 ».
Quid des avantages de cette libéralisation ?
Cette libéralisation va permettre de développer l’offre pour démocratiser l’accès à l’électricité à des tarifs moins chers. Ainsi, le gouvernement n’aura pas besoin de fixer le tarif de l’électricité sans lien avec la réalité de l’offre et de la demande d’électricité. La libéralisation permettra aussi d’assainir la gouvernance du secteur grâce à la transparence et la discipline du marché avec moins d’opacité pour détourner les fonds publics.
Cette libéralisation permettra aussi une liberté de choix pour les consommateurs, avec comme finalité la sauvegarde du pouvoir d’achat des ménages burundais, l’amélioration de leurs conditions de vie, l’augmentation de la compétitivité et la productivité des entreprises.
Quid des préalables ?
Même si la libéralisation du secteur de l’électricité est une nécessité, le CDE Great Lakes pose certaines conditions qui sont à respecter pour rendre effective cette libéralisation. D’abord, il faut garantir une consolidation de l’état de droit via une justice indépendante et efficace, pour sécuriser juridiquement les transactions. Ensuite, l’institution d’un cahier de charges clair et rigoureux, des appels d’offres concurrentiels, la suppression des contrats de gré à gré, la garantie de l’exécution des contrats et le règlement rapide des conflits commerciaux sont indispensables pour inspirer confiance aux investisseurs et les inciter à placer leurs capitaux dans ce secteur. Parallèlement, il faut améliorer l’environnement des affaires pour réduire les coûts et les risques d’investissements qui restent encore trop élevés. Enfin, l’instauration de la bonne gouvernance et la transparence est un préalable pour éviter de remplacer un monopole étatique par un monopole ou un oligopole privé. Il n’est pas à oublier la liberté des prix, car sans liberté de fixation de prix, il n’y aura pas d’incitation suffisante pour produire, investir et innover.