Le 7 juin 2023, la Banque de la République du Burundi a pris la décision de retirer de la circulation les billets de 5 000 FBu et de 10 000 FBu datant du 4 juillet 2018, pour les remplacer par de nouvelles coupures de cette même valeur. Face à l’étiologie de cette démonétisation, notre collègue Franck Arnaud Ndorukwigira nous éclaire sur les raisons derrière l’augmentation de la circulation fiduciaire dans le circuit informel au Burundi.
C’est une affaire qui est sous les feux de l’actualité. Du 7 juin au 17 juin, les anciens billets de 10 000 FBU et 5000 FBU ont été remplacés par les nouveaux. Selon le Gouverneur de la Banque de la République, le changement de ces billets a été justifié par le fait qu’il a été constaté que 60 % des billets de 10 000 FBU et 5 000 FBU étaient hors circuit bancaire. « Plus l’argent circule en grande quantité dans le système financier informel, plus il y a instabilité des activités d’intermédiation des institutions financières qui sont les seules autorisées à collecter les dépôts et accorder des crédits, sans oublier une déstabilisation des activités de paiement et de transfert de fonds », explique la banque centrale.
« Lorsque la circulation informelle des billets de monnaie augmente, les dépôts dans les institutions financières diminuent. Cela réduit les ressources disponibles pour les banques et les microfinances, ce qui handicape leur capacité à accorder des crédits et drainer l’épargne », explique un économiste de la banque centrale sous couvert d’anonymat, avant de renchérir que face à cette situation, la banque centrale se retrouvait en incapacité d’exercer sa mission de contrôle de la circulation monétaire.
Au-delà de cette justification, la grande question est de savoir pourquoi cette augmentation de la circulation informelle de la monnaie.
Trois causes
Au Burundi, la culture bancaire n’est pas encore ancrée au Burundi. Les Burundais ont une préférence culturelle pour les transactions en espèces, ce qui fait que le taux de bancarisation est très faible à 21,92 %. En un mot, 80 % de la population burundaise n’utilise pas les services formels des banques. À l’origine, il y a d’abord ce manque de culture bancaire. Ensuite, il s’observe encore une difficulté d’accès aux services bancaires à cause de la mauvaise répartition géographique des institutions et agences bancaire dans le pays. Enfin, le service offert dans différentes banques et/ou institutions bancaires est précaire : « Pour opérer un versement, pour retirer sur un chèque bancaire, obtenir un crédit, changer une monnaie ou obtenir des informations, il faut très souvent de très longues heures faisant perdre du temps au Burundais », confie Aline Mbarushimana, rencontrée sur une ligne d’attente à la COOPEC agence Gitega.
Cela démotive la population et fait que ceux qui ont de l’argent n’ont plus confiance dans le système bancaire, préférant mettre leur argent dans les tontines. Ces dernières sont des regroupements informels de personnes qui décident d’un commun accord de contribuer périodiquement une somme déterminée à une caisse commune, où les fonds récoltés sont remis à tour de rôle à chacun des membres du groupe qui dispose ainsi d’une somme importante, mais qui ne va pas transiter dans les services financiers formels.
De deux, les contraintes réglementaires et fiscales excessives persistent encore. « Un compte en banque reste un luxe pour le Burundais lambda, vu les frais de tenue de compte enduits mensuellement, les frais sur certaines transactions, la lourdeur des démarches administratives et les taux d’intérêt élevé pour bénéficier d’un crédit », confie Bernard Ndihoruri, un habitant de Mweya à Gitega qui a fait fermer son compte bancaire pour faire circuler son argent dans une tontine communautaire de façon informelle.
De trois, l’argent formel n’est pas une propriété privée de l’individu qui en possède. Pour le voir, il suffit de voir les restrictions imposées lors de la démonétisation, via les plafonds à ne pas dépasser lors des dépôts ou retraits. « Le total des dépôts était limité à 10 millions BIF sur un compte d’une personne physique et 30 millions sur un compte d’une personne morale, par jour et par compte. Pour le retrait, c’étaient 300 000 FBU à ne pas dépasser pour les personnes physiques. C’est comme si l’argent ne nous appartenait pas, mais appartient au gouvernement qui fixe la possession des sommes à ne pas dépasser pour chaque individu », confie encore Mr Bernard.
Piste de solutions
La démonétisation des billets de banque est une mesure de politique monétaire qu’on rencontre dans beaucoup de pays. Cette décision de la banque centrale va faire comprendre à la population ce besoin de posséder un compte bancaire, et de promouvoir l’utilisation formelle de l’argent, et la culture des transactions électroniques. Mais, pour que cela soit effectif, les décideurs devraient faciliter les start-ups qui opèrent dans le secteur du mobile banking pour décentraliser le système bancaire formel, sans oublier d’alléger les exigences à l’utilisation d’un compte bancaire.