Le 30 mai 2023, le gouverneur de la province Makamba, a averti les propriétaires des terres inexploitées que leurs propriétés pourraient être récupérées et données à ceux qui sont capables de les mettre en valeur. Se basant sur le principe du droit de la propriété privée, cette mesure a mis en rogne notre collègue Francis Cubahiro, qui a décidé de lui écrire une petite missive.

Madame le Gouverneur, 

Le 30 mai, vous avez appelé les propriétaires des terres non exploitées à les exploiter, car, d’ici le mois de juillet 2023, l’Etat va les récupérer pour les mettre en valeur en vue de l’augmentation de la production agro-pastorale. Vous n’êtes pas la première et sans doute pas la dernière à prendre une telle mesure. Le gouverneur de Bururi l’avait pris avant de se ressaisir. 

Même si l’objectif de cette expropriation est guidé par une bonnes intention, les raisons pouvant mener à des terres inexploitées sont multiples. Certains disposent d’une progéniture qui n’est pas encore prête à se partager le lopin de terre, d’autres peuvent l’avoir mise en jachère, sans oublier que certains peuvent avoir prévu de clôturer leurs propriétés pour créer des zones de pâturage pour leur bétail. Par-là, il ne faut pas les juger comme des paresseux qui n’ont pas été capables de rentabiliser ces terres.

Quid de la loi ?

Madame le Gouverneur, cette décision mérite d’être revue, car elle est contraire à la loi. L’article 36 de la Constitution burundaise précise que toute personne a droit à la propriété. Le texte ajoute également que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité, ou en exécution d’une décision judiciaire coulée en force de chose jugée.

En 2022, le chef de l’Etat avait appelé à un dialogue avec les propriétaires de terres non exploitées en vue de mettre celles-ci à la disposition de gens prêts à les exploiter. Je sais que vous avez agi dans cette ligne directrice. Mais, un Etat qui aura à traiter avec des particuliers, ne sera-t-il pas une situation inégale vu que les particuliers n’auront aucun moyen de pression sur les pouvoirs publics ?

En plus, la propriété privée est essentielle à la dignité humaine. L’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit l’inviolabilité de cette propriété privée, qui se définit comme le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements.

Socle de la prospérité

Madame le Gouverneur, à moins que je me trompe, l’accaparement des terres au Burundi finit toujours par conduire à la violence. Il suffit de voir les statistiques des conflits fonciers dans nos tribunaux. Alors, si vous voulez avoir une paix et une croissance économique forte à Makamba, vous devez sécuriser les droits de propriété privés pour tous. Chaque personne devrait être libre de faire ses propres choix et d’investir son temps et ses compétences pour atteindre les objectifs qu’elle pense être les meilleurs pour son bien-être, son bonheur et sa prospérité. Aucune tierce partie ne devrait prendre les décisions à sa place, même s’il s’agit de personnes éclairées, y compris vous, le Gouverneur. 

Madame le Gouverneur, le droit de la propriété privé fait partie des indicateurs qui renseignent sur la liberté économique d’une province. L’absence de droit de propriété privée est donc un frein au développement. Sans droits de propriété, aucun autre droit n’a de véritable sens, car une fois que le gouvernement aura le genre de pouvoir qu’implique l’expropriation sans compensation, des violations des droits s’en suivront inévitablement. 

À mon humble avis, l’usage de l’intérêt général pour restreindre le droit de propriété privé est donc une fausse bonne solution.