Le 15 décembre 2022, une collection d’arrêts fonciers qualifiée de « modèles » dans la « Revue de jurisprudence de la Cour suprême du Burundi », Tome 5, a été publié par la cour suprême du Burundi. Un impact du projet Why Women qui garantit le droit foncier des femmes. Le point avec notre collègue Franck Arnaud Ndorukwigira.
La jurisprudence désigne l’ensemble des solutions apportées par les décisions de justice dans l’application du Droit, notamment dans l’interprétation de la loi quand celle-ci est obscure, ou même dans la création du Droit quand il faut compléter la loi, ou suppléer une règle qui fait défaut.
Dans ce cadre, vu que la problématique de la succession au Burundi est compliquée par l’absence d’une loi pour la régir, ce domaine est régi par la coutume jusqu’aujourd’hui. Même le code foncier, principal texte juridique dans ce domaine, renvoie implicitement en son article 29, à la coutume, pour ce qui est des conflits relatifs aux successions. Or, « la coutume n’est ni uniforme encore moins codifiée pour en connaitre le contenu. Qui plus est, la coutume burundaise centrée sur le système patriarcal est perçue comme discriminatoire par rapport aux filles et femmes qui n’héritent pas aux biens immobiliers au même pied d’égalité que leurs frères », expliquait Dr. Alexis Manirakiza professeur à l’Université du Burundi, lundi le 25 juillet 2022 à Bujumbura, lors de la présentation de son étude intitulée « L’égal accès des femmes burundaises à la propriété foncière » dans le cadre du projet Why Women du CDE.
Un impact de géant
La prolifération des conflits fonciers nuisant au climat social, et la gestion de ces conflits fonciers restant problématique au niveau des juridictions, il fallait trouver une alternative à la coutume pour rétablir les milliers de femmes et filles chez qui leurs droits de propriété étaient bafoués au nom de la coutume. « Ce défi est un casse-tête pour les juristes burundais, car, appliquer les solutions juridiquement acceptables, selon les instruments juridiques internationaux dont le Burundi a ratifié et selon la Constitution Burundaise, implique une véritable révolution juridique au niveau des tribunaux », explique Dr Alexis Manirakiza, l’expert du CDE.
Pour le CDE, « hériter et posséder une propriété sans discrimination à travers une décision juridique rendue par les cours et tribunaux au Burundi fournit de puissantes incitations juridiques qui aident à allouer les ressources économiques et à responsabiliser juridiquement les propriétaires pour améliorer leur vie en prenant des décisions sur l’utilisation de la terre et capturer tous les flux de revenus qui en découlent », confie professeur Barumwete Siméon du CDE Great Lakes.
Par-là donc, la publication de ce recueil de jurisprudence foncière permettra aux magistrats, avocats, et juges des tribunaux de résidence, et les bénéficiaires de la justice surtout les femmes Burundaises, à s’en référer en cas de vide ou de flou juridique afin d’uniformiser les pratiques, et de mieux rendre justice à tous.
Des modèles à suivre
Par exemple, l’arrêt RCC 30 127 rendu par la Cour de cassation de Bujumbura (2021), les arrêts RCSA 5178 (2021), RCSA 5633 rendus par la Cour d’Appel de Ngozi (2021) et l’arrêt RCSA 1667 rendu par a Cour d’Appel de Muha (2020) concernent spécifiquement les contestations liées au partage de la propriété foncière familiale. Leur point commun est que tous se réfèrent aux dispositions des articles 13 et 19, 22 et 36 de la Constitution et des articles 2 et 7 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme. Tous ces articles sont en cohérence avec les principes d’égalité et de la non-discrimination consacrés par la Constitution de la République du Burundi et les instruments juridiques internationaux qui ont été régulièrement ratifiés par le Burundi, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme » et le « Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ».
Dans l’arrêt RCC 30 127 du 29/07/2021, le juge de cassation indique que les enfants d’un même père ont les mêmes droits en matière successorale. Il consacre une bonne pratique coutumière de faire respecter l’égalité des droits successoraux des enfants. La décision de la Chambre de Cassation a été une occasion de faire remarquer au juge de fond qu’en matière successorale, le partage du patrimoine successoral se fait dans le respect de l’égalité des enfants.
Avec ce recueil, Why women a montré que l’inégalité dans une fratrie ne sert pas la société, et que la coutume burundaise dans le domaine de l’héritage foncier est contraire à la Constitution. Cette publication de la jurisprudence est sans nul doute une piste d’amélioration de l’efficacité de la justice en général et de la justice foncière en particulier pour les femmes.