Pour protéger la récolte qui n’a pas été bonne au Burundi, les restrictions agricoles protectionnistes se multiplient à l’intérieur des frontières nationales. Face à cette solution, notre collègue Painette Niyongere démontre que ces mesures protectionnistes ne font que nuire à la sécurité alimentaire du Burundi, favorisent une inflation alimentaire et engendrent le commerce informel.
Le « protectionnisme agricole » comme concept économique, est en plein essor dans les provinces du nord du pays. Les deux voix de ce courant économique sont portées par les provinces de Kirundo et Muyinga. À Kirundo par exemple, le 14 janvier 2023 est une date à marquer d’une pierre noire. Des restrictions ont été imposées par le gouverneur de la province de Kirundo, interdisant le libre-échange et la libre-circulation des produits vivriers de Kirundo vers les autres provinces du pays. Même ceux qui ont des champs à Kirundo, mais non-résidant dans la province, n’ont pas le droit de transporter leurs récoltes sans une autorisation spéciale.
L’espoir du libre-échange agricole et du libre-marché est ravalé. Il y a de cela deux ans, les mêmes mesures avaient été prises par le gouverneur de la province de Muyinga pour les haricots, et dans la province de Bubanza pour le riz non transformé. La situation n’avait fait qu’empirer la fraude et la contrebande du commerce informel. En juin 2022, la commune Bukirasazi de la province Gitega avait interdit hors commune la vente de haricot, de riz et de maïs.
Une fausse bonne idée
Par ces mesures, les provinces du nord du pays sont tentées de croire que leurs provinces sortiront de la crise de l’inflation alimentaire en fermant les frontières. Pour eux, l’exportation viderait leurs provinces de sa récolte. Selon Aimable Manirakiza du CDE Great Lakes, évoquant le principe de réciprocité, leur oppose la réalité. « Si les autres provinces font la même chose pour Kirundo sur les produits de premières nécessités pour la province, que deviendra la population de Kirundo ? », se demande-t-il, avant de renchérir qu’il y a un danger majeur dans l’accumulation constante de mesures qui créent des distorsions pour le commerce et les investissements. « Kirundo étant le grenier du Burundi, cette mesure risque d’engendrer une insécurité alimentaire dans le pays, avec accroissement de l’inflation alimentaire et de la fraude et contrebande dans le commerce alimentaire », ajoute Manirakiza.
Une autre conséquence, selon Franck Arnaud Ndorukwigira du CDE Great Lakes également, c’est qu’avec le protectionnisme, on voit dans l’étranger un ennemi économique, puis un ennemi tout court. Et le nationalisme exacerbé est un des facteurs ayant entraîné des guerres comme la deuxième guerre mondiale, et les récentes fermetures des frontières rwando-burundaises. « C’est parfaitement logique que les opérateurs de ces provinces privilégient les marchés où les prix sont plus rémunérateurs. C’est leur droit et c’est ainsi que fonctionne l’économie libérale dans laquelle nous sommes. Leur interdire d’exporter revient à les priver d’une manne financière à laquelle ils ont droit », conclue Ndorukwigira.
La théorie des avantages comparatifs, une solution
La théorie des avantages comparatifs, énoncée en 1817 par David Ricardo, un des grands économistes libéraux dans son livre « Des principes de l’économie politique et de l’impôt », devrait influencer la politique et commerce agricole au Burundi. Considérant deux provinces du Burundi, deux denrées et un volume de travail donné, son raisonnement démontre que si l’une des provinces est moins productive que l’autre pour les deux denrées, ces provinces peuvent quand même avoir intérêt à se spécialiser et à échanger. Ce raisonnement repose sur les coûts d’opportunité : produire une certaine quantité de la denrée « A » implique de renoncer à produire une certaine quantité de la denrée « B », et chaque province se spécialise dans la denrée qui implique le renoncement le plus faible à l’autre denrée, augmentant la production globale des deux provinces pour les deux denrées, et facilitant l’accès vie le libre-échange.
Cette démonstration a été étendue par Eli Hecksher, Bertil Ohlin et Paul Samuelson sous la forme d’un modèle (dit HOS, d’après les initiales des noms des auteurs) qui prédit, entre autres, que les provinces tendent à se spécialiser dans les secteurs pour lesquels ils sont dotés de facteurs de production relativement abondants, et échange leurs produits sans restrictions et sans implication du gouvernement. Par-là, une baisse durable des prix s’en suivra, et le libre-marché chassera la fraude et la contrebande.
La production de Kirundo, Muyinga et Bukirasazi en produits vivriers n’est pas suffisamment diversifiée pour permettre aux ménages de toujours trouver ce dont ils ont besoin. Au lieu du protectionnisme, il faut laisser autant que possible les forces du marché modeler l’activité. C’est le seul moyen d’aller vers plus d’efficacité, plus de productivité, plus de maturité pour l’économie burundaise.