Alors qu’au Burundi, l’année en cours a été baptisée année de l’agriculture, sous le thème « Agriculture, source de l’économie nationale », plusieurs défis ont entaché ce baptême, et l’ont empêché d’atteindre son objectif. Et si la solution pour l’année culturale 2022-2023 réside dans la libéralisation de l’agriculture ? Le point avec notre collègue Painette Niyongere.
Les agriculteurs ne savent pas où donner de la tête. La saison culturale A vient de démarrer tardivement en octobre, alors qu’elle devrait débuter en septembre. À l’origine, le manque de l’engrais, des semences certifiés, et de la pluie. Même le gouvernement est en grogne. L’usine FOMI, seul fabricant de l’engrais, n’a pas respecté les engagements au niveau de la production, distribution et commercialisation de l’engrais aux agriculteurs. Le monopole de l’ANAGESSA qui avait le monopole étatique de gestion de la production agricole jusqu’à la commercialisation, a fait pourrir les stocks de récolte, quitte à limoger le directeur de l’agence. Le monopole sur le marché des semences n’a pas donné les résultats escomptés, jusqu’à ce que la population insiste pour l’importation et la commercialisation d’une bonne semence des maïs de la Zambie.
Le difficile accès à l’engrais
Les agriculteurs comme Marguerite Nshimirimana de la commune Kabezi, se lamente d’attendre les engrais qui n’arrivent pas en quantité suffisante. Elle s’insurge contre les méfaits du monopole dans ce secteur. Mme Marguerite affirme qu’elle s’était acquitté dans les délais, des frais d’avance pour l’achat de l’engrais à la FOMI, que chaque agriculteur doit payer trois mois avant la saison culturale, et s’attendait que l’Usine FOMI fasse de même en leur livrant des engrais commandés dans les délais, afin de semer à temps. Malheureusement, en vain.
En plus, pour Claude, riziculteur, les quantités commandées ne sont pas quelquefois celles qui sont servies. « Imaginez un agriculteur qui dispose d’une propriété de 3 ou 4 ha et qui reçoit deux ou trois sacs de fertilisants seulement », s’inquiète- il. Selon lui, la distribution des quantités insuffisantes génère de mauvais rendements chez les agriculteurs. « Si je dispose d’intrants suffisants, ma récolte oscille autour de 60 à 70 sacs de 110 kg de riz par hectare. Pourtant, actuellement, j’ai récolté entre 30 et 40 sacs sur la même étendue suite au manque de fertilisants suffisants », renchérit Claude.
Comme le confirme l’administrateur de la commune Kabezi, Espérance Habonimana, le fournisseur FOMI n’achemine pas les engrais dans toutes les zones, et la population doit parcourir une longue distance pour chercher ces fertilisants en dehors de leur zone. C’est le cas des engrais de la zone Mubone qui ont été déposés en zone Ramba. Pour départager les collines, des listes ont été établies, et l’administration de la commune, supervise cette distribution d’engrais chimiques sur présentation de jetons de payement au distributeur. « Une lourde bureaucratie qui ne facilite pas les choses », ajoute Margueritte.
Le bémol de l’accès aux semences sélectionnées
L’accès aux semences sélectionnées constitue aussi un casse-tête chez les agriculteurs. Les statistiques montrent que seulement moins de 10 % des agriculteurs burundais ont accès aux semences sélectionnées. Selon Dr Ir Willy Irakoze, directeur de la recherche à l’ISABU, la raison de cette situation est que le schéma de la production, multiplication et commercialisation des semences n’est pas libéralisés.
Les semences sélectionnées, propriété du gouvernement, ne sont vendues que via les multiplicateurs de semences qui sont estimées à 1 389 multiplicateurs des semences agréés pour une population de 12 millions d’habitants. Trop peu pour satisfaire la demande. En plus, plus de 50 % de ces multiplicateurs de semences ne se trouvent que dans cinq provinces seulement qui sont entre autres Bururi, Cankuzo, Muyinga, Ruyigi et Karusi.
Et via le programme national de subvention des semences, le prix de semences a été réduit jusqu’60 %. Une bosse chose, sauf qu’il a une anguille sous roche, car ses semences subventionnées ne sont pas productives, et les agriculteurs peinent à avoir les bonnes semences productives. « Pour avoir les semences des maïs PAN 53, il a fallu boycotter les semences de l’ISABU et faire un cri jusqu’au Premier ministre, alors qu’on pouvait facilement cultiver les semences de nos choix via la libéralisation de ce secteur », explique Gatogato Ezéchiel, Cultivateur de Bugendana.
La solution est simple, libéralisons l’agriculture
Face à ces défis, la réalité est là. Les programmes nationaux de subvention des engrais et des semences injectent des millions de dollars par an dans l’agriculture, et pourtant, les agriculteurs peinent à joindre les deux bouts. La solution est alors simple, libéralisons l’agriculture et les différentes chaînes de valeurs. « Au moins, nous pourrons acheter l’engrais et les semences à temps et au bon prix sans la lourde bureaucratie des listes, jetons et longue distance », confie Margueritte, avant de renchérir que le monopole de l’engrais et des semences crée de la pénurie et la fausse spéculation, alors que la libéralisation apporterait la libre-concurrence et ses avantages. Et d’ailleurs, c’est ce que prônent l’organisation mondiale du commerce et l’organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).