D’après le projet Why women du CDE, l’instance judiciaire est un rempart pour l’acquisition et la sauvegarde des droits fonciers des femmes. Malheureusement, le taux des femmes qui saisissent les tribunaux pour défendre leurs droits fonciers est encore faible. Notre collègue Francis Cubahiro a fait une immersion au tribunal de résidence de Gitega pour y décortiquer les causes.
En matière de la défense des droits fonciers, il y a un grand écart entre hommes et femmes dans l’accès à la justice. Seulement 38 % des plaignants sur les litiges fonciers étaient des femmes en 2009, contre 62 % des hommes. Pour l’exercice judiciaire 2014, sur 1807 litiges fonciers portés devant dix tribunaux, 49 % des litiges ont été introduits par les femmes contre 51 % par des hommes. Et sur 809 litiges fonciers portés par les femmes devant ces tribunaux, 44,9 % (366 litiges) étaient des réclamations portant sur le droit d’hériter les terres familiales, et 18 % (145 litiges) sur les demandes d’usufruit.
Un fait que les femmes, timidement, eux aussi réclament la reconnaissance des droits sur la terre familiale au même titre que leurs frères. Mais, pourquoi sont-elles peu nombreuses à saisir les instances judiciaires ?
L’insuffisance de la couverture judiciaire
La mise en place des 135 tribunaux de résidence dans 119 communes est à saluer. Le hic une concentration des juridictions se note dans les chefs-lieux des provinces et des communes, parfois très éloignés des zones rurales. « Je suis obligée de faire 30 km à pieds pour atteindre le tribunal de résidence de Gitega », confie Kankindi Elisabeth de la zone Mubuga.
Cela handicape la femme burundaise qui n’a souvent guère le temps de faire de tels kilomètres pour poursuivre les procédures judiciaires, en raison de leurs rôles multiples en matière de production et de procréation. Souvent, elles décident tout simplement d’abandonner tout recours en justice à cause de la distance.
La lenteur des juridictions
« Il n’est pas rare de constater que les faits de la cause soient intervenus une dizaine d’années », confie Yvonne Ndikumana, qui a abandonné son procès foncier parce qu’il venait de passer deux ans sans aboutissement. Face à cette durée excessive des juridictions où l’obligation de statuer dans un délai raisonnable n’est pas respectée, l’article 259 alinéa 2 du Code de procédure pénale stipule que les jugements sont prononcés aussitôt après la clôture des débats, et au plus tard dans les trente jours qui suivent la prise en délibéré du dossier, et que le nombre de remises d’audiences publiques ne peut être supérieur à trois, sauf accord des parties. Ce qui est loin de la réalité, et qui freine plusieurs femmes à saisir la justice.
Le coût de la justice
Officiellement, la justice est gratuite dans la mesure où le justiciable ne rémunère pas les prestations des juges et des agents de l’ordre judiciaire. Pourtant, les articles 399 et 400 du Code de procédure civile subordonnent l’inscription d’une affaire au rôle à la consignation par le demandeur, des frais de justice : les frais de l’enrôlement du dossier, les frais d’huissier, les frais de défense, sans oublier les frais de délivrance des décisions de justice sur le terrain.
Avec la culture patriarcale, les femmes n’ont pas souvent pas les ressources financières suffisantes pour engager des poursuites judiciaires, et se trouvent donc exclus de la justice.
L’analphabétisme et le manque d’information
La grande majorité des femmes au Burundi ignorent les règles de procédure et leurs subtilités. Elles ne peuvent, en conséquence, ni réclamer ni bénéficier de droits qui leur sont reconnus. Cette situation trouve sa source dans l’analphabétisme, la méconnaissance de la langue officielle française, ainsi que le vocabulaire judiciaire qui est éloigné du langage courant. «La femme rurale ne sachant ni lire ni écrire, ne possède pas la moindre notion du système des juridictions et de la manière de s’adresser à elles. Et si elles osent malgré les défis, elles sont déroutées ou perdent des procès par ignorance due au manque d’information », confie Me Prosper Ntiharirizwa. « En matière procédurale, il faudrait poser une règle qui imposerait que les jugements soient rendus en kirundi », ajoute avec insistance Elisabeth de Mubuga.
L’absence d’une loi sur la succession
« Pourquoi saisir la justice alors que je sais que je vais perdre le procès par absence d’une loi sur la succession et sur les régimes matrimoniaux », confie Immaculée de la zone Nyamugari. Par absence de cette loi, les femmes qui intentent des procès ne sont pas assurées de gagner, et cet état de fait développe et renforce le sentiment d’infériorité auprès d’autres femmes qui vont fuir les instances judiciaires.
Pour rendre la justice accessible à tous, des efforts doivent être déployés pour réaliser ce que l’on appelle la « justice de proximité » et mettre en place des bureaux d’information des justiciables pour faire l’accueil, l’orientation et l’information auprès des justiciables sur leurs droits.